L’intelligence artificielle au service des sciences de l’information : points de rencontre et limites
Pas un seul domaine d’activité n’échappe à l’influence de l’intelligence artificielle, mais distinguer son apport et ses limites constitue parfois un défi. En matière de sciences de l’information, elle touche toutes les étapes du cycle de l’information, avec une position variable du curseur d’impact. Cogniges vous propose un bref tour d’horizon sur la question. Pour ce faire, nous définissons les concepts, abordons les fonctions prometteuses et les enjeux de l’intelligence artificielle à chaque étape, puis terminons par les éléments qui, selon les experts, requerront l’intervention des spécialistes de l’information pour encore longtemps.
Les concepts en présence
Déjà, les définitions permettent de situer les zones de convergence potentielles.
Les sciences de l’information « étudient les propriétés de l’information, les forces qui en gouvernent le flux et les moyens de la gérer pour en optimiser l’accès et l’utilisation. Elles s’intéressent à la création, à la collecte, à l’analyse, à l’organisation, à l’évaluation, à la diffusion, à la transformation et à l’utilisation de l’information consignée et des connaissances sous toutes leurs formes. » [1]
L’intelligence artificielle concerne « tout outil utilisé par une machine afin de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité. Plus précisément, la Commission européenne considère que l’IA regroupe : 1) les approches d’apprentissage automatique; 2) les approches fondées sur la logique et les connaissances ; et 3) les approches statistiques, l’estimation bayésienne, et les méthodes de recherche et d’optimisation. » [2]
Une collecte d’information facilitée
Considérant que le volume d’information s’accroît chaque jour, que les sources se diversifient et que les supports sont plus hétérogènes que jamais [3] :
- Des outils d’intelligence artificielle tels que ChatGPT, WebChatGPT ou Perplexity peuvent aider à identifier le champ sémantique relatif à un objet de recherche documentaire ou de veille [4].
- Dans la même veine, ils peuvent contribuer à cerner les mots-clés les plus utilisés ainsi que les noms des principaux acteurs ou les sources à suivre dans un domaine.
Un traitement, une analyse et une organisation à grande échelle
- Une des forces de l’intelligence artificielle s’exerce sur le traitement de masse à grande échelle sur des corpus difficilement maîtrisables par la seule approche humaine [5]. Ainsi, elle permet de classer automatiquement des sources en fonction du champ lexical, de leur référencement et de la récence de leur contenu.
- En contexte de surabondance d’information, on peut mettre l’intelligence artificielle à profit pour extraire des entités nommées (personnes ou organisations), des concepts, des thématiques, puisque tout ce qui est écrit devient exploitable en langage naturel, donc objet potentiel de requête [6].
Citons deux exemples rapportés dans un numéro d’I2D : information, données & documents consacré à l’intelligence artificielle [7, 8] :
- Chaque année, 1 million de nouveaux articles sont indexés dans Medline dont le thésaurus comprend 27 000 descripteurs (MeSH). La mise en place du Medical Text Indexer, qui intègre des approches d’apprentissage profond, permet de répondre aux besoins d’accès rapide à l’information en effectuant une indexation automatisée contrôlée par une curation humaine [7].
- Estimer la valeur et l’impact d’une publication scientifique constitue un défi. Des chercheurs ont mis au point l’application MyScienceWork qui permet d’analyser les citations bibliographiques dans d’importants corpus, et ce selon trois modèles : 1) La citation confirme-t-elle ou infirme-t-elle la thèse de l’auteur(e)? 2) L’auteur(e) exprime-t-il (elle) un avis positif, négatif ou neutre sur cette citation? 3) La référence bibliographique apparaît-elle dans l’état de situation, dans la méthodologie ou dans les résultats? [8]
Une diffusion d’information plus ciblée à l’horizon
Dans ce domaine, l’intelligence artificielle en est à ses débuts, mais ils semblent prometteurs [4] :
- On peut anticiper un ciblage des informations issues de la veille en fonction du profil des destinataires.
- On peut également entrevoir la possibilité de structurer et de présenter les informations en fonction non seulement du profil du destinataire, mais aussi de son niveau de spécialisation, de son registre de langue et de ses habitudes de lecture.
Des rôles toujours dévolus aux spécialistes de l’information
- La compréhension fine du contexte et des besoins de la clientèle reste l’apanage d’humains dûment formés. Chez Cogniges, nous le constatons chaque jour.
- Pour l’instant, seuls des spécialistes des domaines considérés ou de l’information sont en mesure d’évaluer la qualité de sources [6], d’effectuer un contrôle de qualité sur des résultats et de se porter garants d’une utilisation appropriée de l’intelligence artificielle en fonction des normes éthiques, des lois et des règlements [3].
- Si l’intelligence artificielle peut prendre en charge des tâches répétitives, le ou la spécialiste de l’information peut concentrer ses efforts sur des tâches à plus grande valeur ajoutée, comme le traitement des cas difficiles et la prise de décisions complexes.
- La rédaction d’une synthèse — et non d’un résumé — procède d’une combinaison issue de la compréhension, par un spécialiste, non seulement des contenus, mais également des besoins spécifiques de ses clients [4, 6].
Si les apports de l’intelligence artificielle ont le potentiel de libérer du temps des spécialistes de l’information pour la gestion de projets et les tâches complexes et à valeur ajoutée, ils requièrent néanmoins le développement de nouvelles compétences et la maîtrise de nouveaux outils, tels que ceux voués à l’exploitation des métadonnées, ou encore à l’alimentation et au perfectionnement des algorithmes [3].
En outre, au-delà du nécessaire encadrement de l’utilisation de l’intelligence artificielle par les instances gouvernementales, les spécialistes de l’information mettront toujours leur capacité d’adaptation, leur esprit critique, leur intelligence émotionnelle et leur éthique au service de leurs clients dans les activités de recherche d’information et de veille : des composantes qui ne seront pas intégrées de sitôt dans un algorithme, si perfectionné soit-il.
Références
[1] Université de Montréal. École de bibliothéconomie et des sciences de l’information. (s.d.). Les sciences de l’information.
[2] Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL, France). Glossaire de l’intelligence artificielle.
[3] Jacob S., Souissi, S. et Martineau, C. (2022). Intelligence artificielle et transformation des métiers de la gestion documentaire. Québec : Université Laval, Chaire de recherche sur l’administration publique à l’ère numérique, 17 p.
[4] Deschamps, C. (2023, janvier). Ce que ChatGPT fait à la veille [4 billets]. Outils froids.
[5] Chartron, G. et Raulin, A. (2022). L’intelligence artificielle dans le secteur de l’information et de la documentation : défis, impacts et perspectives – Présentation du dossier. I2D : information, données & documents, 1(1), 8-12.